Billets éthiques

L’aide active à mourir, gage d’un moment de solidarité et d’humanité ?

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C. Hazif-Thomas, Directeur EREB

Coordonnateur de la CNERER

Billet éthique, Avril 2023

La convention citoyenne a livré ses conclusions de belle façon et ses travaux respirent un air de maturité démocratique. Quelque soit la prise de position en faveur ou en défaveur de la légalisation éventuelle de l’aide active à mourir, on retiendra qu’un parcours de soins doit permettre au malade en fin de vie d’accéder aux soins palliatifs et d’exercer son autonomie de volonté jusqu’à la fin, quitte à recourir à une solution d’effacement de soi, a priori médicalisé, ce que le corps médical n’est peut-être pas prêt à accepter mais que la société civile appelle de ses vœux.

La pratique des débats publics a également ramené cette idée que la question de la fin de vie n’est pas seulement une question d’autonomie de chacun d’entre nous mais aussi une affaire de signal que les pouvoirs publics veulent donner à notre collectivité, pour les années à venir, quant au droit de chacun à la protection de la santé et de respect de son droit à la vie. L’habit de l’homme est la dignité et cet habit doit éveiller chacun sur ce qu’il peut véritablement accepter de faire ou ne pas faire face à la maladie grave et incurable. Si nous acceptons l’idée paradoxale que nous sommes tous en train de mourir -ce qui de toute façon s’avère inéluctable à un moment ou à un autre- chacun est amené à s’entraider dans cette épreuve, tant moralement que physiquement, individuellement que collectivement. Fabrice Gzil écrit dans le Monde que « faire de la possibilité de demander une aide à mourir un nouveau droit » ne lui « paraît pas très opportun » et que l’important est que le couple médecin-malade puise faire le point sur « les limites des traitements »1. Cela ouvre dès lors la question cotravaillée de l’aide active à mourir : mais n’est-ce pas là l’indice que le débat se porte aussi sur ce qui ressort de la dignité-limite, entre dignité subjective et objective ? Et que cette co-élaboration débouche de fait sur une codécision ? De quoi relativiser la vision provocatrice de Michel Houellebecq pour qui « La dignité, c’est devenu vraiment n’importe quoi, une plaisanterie de mauvais goût ; et j’ai même l’impression que la notion de loi morale est devenue obscure à nombre de nos contemporains »2.

En ce sens la question n’est donc pas entre blanc et noir mais entre gris clair et gris foncé, comme souvent en éthique, de même que la nuance en pareille situation est d’une importance fondamentale : à savoir que co-élaboration n’implique pas nécessairement collaboration à l’exécution du projet retenu, d’où la clause de conscience, fondamentale à plus d’un titre3 en ce que du point de vue du droit, rien dans la jurisprudence de la cour européenne des droits de l’homme n’invite à conclure à l’existence d’un droit au suicide assisté au titre de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme4.

Logiquement l’Ordre national des médecins se positionne défavorablement quant à la mise en place d’une aide active à mourir. Pour autant, il avance quelques propositions indiquant sa volonté que le médecin traitant n’abandonne pas le malade si celui-ci en faisait le choix ; il avance des lignes de conduite exprimant des craintes que le médecin traitant soit secondarisé dans sa mission de garant du parcours de soins si l’acte de donner la mort était autorisé : « L’Ordre des médecins estime en premier lieu « impératif de permettre une meilleure application de la loi Claeys Leonetti, et nécessaire de se doter de tous les moyens qui permettraient à la loi d’être pleinement effective : rendre efficients les dispositifs dans les établissements médicaux, médico-sociaux et à domicile sur l’ensemble du territoire, faciliter l’accompagnement médical et médico-social du patient en fin de vie et de sa famille, favoriser la formation des professionnels de santé et des paramédicaux, libérer du temps pour les médecins traitants pour l’accompagnement de leurs patients, promouvoir une meilleure connaissance des médecins sur la prise en charge des patients en fin de vie. A cet effet, l’Ordre des médecins contribuera au développement des soins palliatifs et d’accompagnement, et de la connaissance de la réglementation actuelle ».

Dans un second temps, les voies d’adaptation déontologique à la légalisation du suicide assisté, recouvrent les « exigences » de l’Ordre des médecins qui revendique « une clause de conscience spécifique qui garantirait l’indépendance du médecin, y compris en établissement de santé, et qui pourrait être mise en exergue à tout moment de la procédure. Le médecin devrait pouvoir continuer à suivre le patient, même après avoir fait valoir cette clause. Si le médecin ne souhaitait plus prendre en charge son patient, il devrait l’adresser vers un médecin susceptible d’assurer sa prise en charge ; Estime qu’un médecin devrait être le professionnel qui recueille la demande d’aide active à mourir du patient en fin de vie. […]; Estime que l’évaluation, la décision d’éligibilité pour une aide active à mourir, et la responsabilité devraient être collégiales ; Estime que dans le collège ainsi constitué, le médecin spécialiste en médecine générale traitant et le médecin spécialiste référent devraient en être systématiquement membres s’ils ne faisaient pas valoir leur clause de conscience ; dans ce dernier cas leur avis sera demandé ; Préconise que le médecin spécialiste en médecine générale traitant fasse partie de l’ensemble de la procédure, sauf s’il faisait valoir sa clause de conscience ; Est défavorable à la participation active du médecin lors de la prise du produit létal par le patient. Cependant, l’ordre des médecins estime que le médecin qui n’aurait pas fait valoir sa clause de conscience pourrait rester présent et accompagner son patient jusqu’à ses derniers instants (art.4127-38 CSP) ; Estime que la loi devra protéger le médecin qui participerait à la procédure d’une aide active à mourir. »5

Incarnation de l’Etat paternaliste, le Conseil de l’Ordre des médecins ? Cette prise de position dément une telle analyse qui fait honneur à l’instance ordinale en ce qu’elle se montre très respectueuse des évolutions de notre société qui à la fois dénie la mort et à la mort en réclame une parcelle de puissance afin de pouvoir abréger ses souffrances quand la maladie nous emporte au-delà de l’admissible. De quelle puissance parle-t-on ? Non celle du conatus qui est de persévérer dans son être, mais celle du maintien de la volonté dans le temps, d’où l’importance de l’évaluation précise du discernement largement rappelée par les conventionnels, qu’il soit direct, tiré des directives anticipées ou de la personne de confiance.

A-t-on alors raison de vouloir sceller cette relation ultime avec d’un côté ceux qui aideraient activement et techniquement, sans d’ailleurs savoir s’il existe « un statut humainement soutenable pour une équipe de soignants, dont le rôle consisterait à exécuter la volonté de mourir d’une personne que, jusque-là, elle soignait »6 et de l’autre, ceux qui pourraient être regardés comme naccompagnant plus que passivement et humainement des malades obligés d’expliquer qu’ils ne veulent pas mourir plus vite, plus rapidement et plus conformément à la volonté sociale ?

Si c’est ce choix politique qui est retenu, et qu’il débouche sur un nouveau droit, cela emportera-t-il le risque d’acter d’avantage le divorce, entrevu depuis le new mangement public, du care et du cure alors que « La visée du soin évolue avec l’avancée d’une maladie, au cours de laquelle il existe toujours une part de curatif et de palliatif […] le soin est indivisible »7. Il s’agit en effet d’entendre le droit fondamental de nos malades mourants à bénéficier de soins continus où se mêlent sans frontière stricte, soins curatifs et soins palliatifs8 et de retenir que « nous sommes à tout moment pour partie en train de mourir et pour partie en train de renaître » (JC Ameisen)9.

En contrepoint des réticences médicales éventuelles, « la Convention citoyenne insiste sur la nécessité de faire prévaloir la volonté des personnes sur l’avis du corps médical et, s’il y a lieu, sur l’importance de la collégialité dans la prise de décision » (Convention citoyenne sur la fin de vie, ibid, p. 41). Mais cela ne va-t-il pas à l’encontre de l’indépendance professionnelle des acteurs de santé ?

Mais n’est-ce pas là une demande d’appel à l’aide qu’il faut entendre ? « Au fond, la légalisation de l’aide active à mourir pourrait transformer notre rapport à la mort car lorsque l’on organise soi-même son départ, le deuil de ses proches peut être vécu différemment et mieux accepté. Nous croyons que ce processus peut être un moment de solidarité et d’humanité »10.

Ce nuancier d’opinions, témoin d’une démocratie participative bien vivante est tout à l’honneur du pays de Montesquieu qui, dans la préface de l’Esprit des lois, remarquait : « J’ai d’abord examiné les hommes, et j’ai cru que, dans cette infinie diversité de lois et de mœurs, ils n’étaient pas uniquement conduits par leurs fantaisie ».

Si l’éthique est d’abord une aptitude à bien poser la question, écoutons celle que pose le sociologue Tanguy Châtel, spécialisé dans les soins palliatifs et l’accompagnement : « Que fait-on quand on se met à penser, souvent trop vite, qu’il faudrait abréger les jours pour faire cesser les épreuves ? Est-il sage de clore le chemin avant de l’avoir laissé se dérouler jusqu’au bout ? Répondre par l’affirmative, c’est décréter par avance que demain n’apportera rien de bon, qu’il sera sans surprise, ou seulement empli de pire : la douleur, la perte de conscience, la dégradation, l’indignité, l’inhumanité. Mais que sait-on vraiment de demain ? C’est nier par avance que la vie réserve encore derrière le mur de l’épreuve, qui obscurcit la vision, des espaces de vie insoupçonnés, des horizons peut-être brefs mais riches et denses parfois comme jamais auparavant. C’est escamoter par anticipation tout un pan de vie qui surgira peut-être, ou pas. Mais ce dont peut être sûr, c’est qu’en précipitant la mort, cette dernière vie-là perd toutes ses chances de surgir »11.

L’agnostique ou le non croyant peuvent, de concert avec le croyant, entendre Houellebecq pour qui « Que l’on croie ou non à l’existence d’un créateur devant lequel on s’apprête à comparaître, c’est en tout cas le moment des adieux, l’ultime occasion de revoir certaines personnes, de leur dire ce que peut-être on ne leur a jamais dit, et d’écouter ce que-peut-être, elles ont à vous dire »12.

N’est-il pas néanmoins envisageable d’oser une exception d’euthanasie ? Pour Emmanuel Hirsch, « L’exception d’euthanasie, c’est l’euthanasie »13 et s’il y a lieu de se féliciter des débats citoyens, qu’il s’agisse de ceux de la Convention citoyenne ou des débats éthiques tenus en territoire sous la houlette des espaces de réflexion éthique régionaux, c’est parce qu’un consensus émerge clairement quant au délabrement du « service public du mourir » : avec de réelles « carences d’accès à un soin digne » de ce nom : le plan présidentiel décennal en faveur des soins palliatifs annoncé dès maintenant dégagera-t-il un nouvel horizon de reconnaissance du travail mené sur le terrain et des souffrances insondables des malades qui s’apprêtent à quitter leur existence ?

N’a-t-on pas laissé s’installer dans notre système de santé des ilots d’inhumanité, des espaces de soins privés d’hospitalité, d’écoute et d’accompagnement palliatif, créant tant des demandes de mort iatrogènes que liées à une perte du sentiment de dignité suite à une pathologie « mal traitée », que désormais on souhaite évacuer en les satisfaisant médicalement ?

1 F. Gzil, Souvent, demander à mourir ne relève pas d’un choix, Le monde du 31 mars 2023, p. 24.

2 M. Houellebecq, « Euthanasie : bienvenue dans le monde de « Soleil vert » ! Le Figaro du 3 avril 2023, p. 19.

3 La Convention citoyenne sur la fin de vie ramène que 78% des citoyennes et citoyens estiment que les soignants doivent pouvoir faire valoir une clause de conscience pour ne pas participer à la procédure de réalisation de l’acte. En cas d’exercice de cette clause, le patient doit être orienté vers un autre professionnel ; Convention citoyenne sur la fin de vie pour une ouverture de l’aide active à mourir sous conditions, 2 avril 2023, p. 79 ; [https://conventioncitoyennesurlafindevie.lecese.fr/sites/cfv/files/CCFV_Rapportfinal.pdf]. Pour une synthèse du rapport de la Convention citoyenne sur la fin de vie : https://conventioncitoyennesurlafindevie.lecese.fr/sites/cfv/files/CCFV_Synthèse.pdf

4 CEDH, Lings c. Danemark, 12 avril 2022, n°15136/20.

5 Conseil National de l’Ordre des Médecins, Fin de vie et rôle du médecin : restitution de la consultation ; [conseil-national.medecin.fr/publications/communiques-presse/fin-vie-role-medecin]

6 F. Mignot, R. Lescure, « Faire évoluer la loi sur la fin de vie : quels risques prend-on ? Ouest France du 28 mars 2023, p. 3.

7 D. Sicard (dir.) et Commission de réflexion sur la fin de vie en France, Penser solidairement la fin de vie en France, 18 déc. 2012, p. 39.

8 T. Châtel, Vivants jusqu’à la mort, Préface de Jean Léonetti, Albin Michel, 2023, p. 164.

9 T. Châtel, ibid, p. 164.

10 Convention citoyenne sur la fin de vie pour une ouverture de l’aide active à mourir sous conditions, 2 avril 2023, p. 42.

11 T. Châtel, Vivants jusqu’à la mort, Préface de Jean Léonetti, Albin Michel, 2023, p. 279.

12 M. Houellebecq, « Euthanasie : bienvenue dans le monde de « Soleil vert » ! Le Figaro du 3 avril 2023, p. 19.

13 E. Hirsch, « Aucune loi ne saurait répondre aux souffrances de notre confrontaion à la mort », Le Figaro du 3 avril 2023, p. 4.

Donner la mort peut-il être considéré comme un soin ? Réflexions éthiques interprofessionnelles sur les perspectives de légalisation de l’assistance au suicide et de l’euthanasie et leurs impacts possibles sur les pratiques soignantes.
Fin de vie et fins de la vie

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