Se protéger en avançant masqué :
le regard d’un dermatologue.
Dr Dubreuil Aurélie, dermatologue à Quimperlé
Le masque imposé par la pandémie sert avant tout à protéger les autres et/ou soi-même d’une contamination infectieuse. Alors que certains le jugent contraignant, voir liberticide, d’autres au contraire y voient un outil salvateur de dissimulation, leur permettant de retrouver une liberté perdue, ou même un moyen d’affirmer une particularité identitaire.
Une patiente hypertrichosique[1] exprimait sa grande souffrance psychologique du fait du retentissement social négatif qu’elle percevait d’elle-même : elle avait un comportement d’éviction des situations où elle était sous le regard des autres. Elle avait le sentiment que sa pilosité excessive au menton était responsable d’une mésestime sociale entraînant de ce fait une perte d’estime de soi, une volonté de désinvestir les relations sociales de base comme celles d’aller faire ses courses, de rencontrer des amis, mais aussi de participer à des activités associatives ou professionnelles nécessitant une prise de parole.
Elle m’avouait que depuis l‘obligation du port du masque dans les lieux publiques, dans les boutiques et sur son lieu de travail: « elle revivait », elle reprenait confiance en elle. La dissimulation de la partie basse de son visage cause de son sentiment de dégoût d’elle même, indigne d’être appréciée à sa juste valeur, devenait un atout positif pour se sentir enfin «belle». Cette prise de conscience de l’impact libérateur du port du masque sur son humeur et sur sa relation aux autres l’a conduite à consulter pour envisager une épilation définitive au laser.
Un patient travaillant dans la restauration m’expliquait la satisfaction que le port du masque lui procurait: il lui avait permis de se faire opéré d’un carcinome de la pointe du nez sans avoir eu recourt à un arrêt de travail durant les jours où la cicatrisation lui imposait des pansements quotidiens, lequel arrêt est inenvisageable quand on est à son compte. Porter des pansements aurait été stigmatisant et incompatible avec l’accueil des clients. Le revers de cette situation concerne les patients qui laissent évoluer un cancer cutané bien caché sous le masque et qui finissent par consulter lorsque celui ci devient ulcéré, hémorragique, douloureux ou dépasse même du masque. Ainsi une femme consulte pour une lésion sur le décolleté; je la rassure cette dernière est bénigne et ne nécessite pas de traitement. Comme j’observe qu’elle a été extrêmement photoexposée, je lui propose un examen de dépistage dermatologique complet: l’examen est satisfaisant; je lui demande alors de baisser le masque pour examiner la partie cachée du visage: un carcinome basocellulaire de 7 mm s’y trouvait! Elle n’avait pas pensé à m’en parler car ce «bouton» qui grossissait progressivement depuis 10 mois ne l’inquiétait pas car il était caché alors que son décolleté, lui, était visible. L’expression «c’est visible comme le nez au milieu du visage» n’a plus cours avec le port du masque!
Le mot masque vient du latin «maschera»: il désignait un faux visage que l’on mettait pour se déguiser et c’est devenu, par métaphore, celui d’une apparence trompeuse. Aujourd’hui le masque a pour fonction la protection (escrime, chirurgie, gaz toxique…), mais il retrouve dans certaines circonstances sa fonction première. En effet certains font du masque un objet esthétique (la couleur du masque assortie à son vêtement), tandis que d’autres y voient le moyen d’affirmer une appartenance à un groupe (masque avec les couleurs d’un drapeau), le moyen de revendiquer une idée (slogans écrits sur le masque), d’affirmer un trait de personnalité (masque au dessin humoristique…). Porter un masque, c’est ainsi apprendre à changer d’identité, c’est présenter une personnalité nouvelle. Combien disent ne plus reconnaître les personnes habituellement familières car le masque couvre la moitié de leur visage. «Je vous ai reconnu à la voix» m’a dit un patient qui me scrutait pourtant mais ne me reconnaissait plus, le visage à demi caché…
Nos sociétés occidentales prônent le refus de vieillir, la jeunesse représentant la beauté, la performance et la réussite. « La vieillesse est un secret honteux et un sujet interdit » exprime Simone De Beauvoir dans La vieillesse. Or ce sont surtout les femmes qui souffrent de cette honte du visage vieillissant, visage qui n’est plus en adéquation avec leur être réel. En effet elles subissent une très forte pression sociétale concernant la beauté et l’image de soi. Ce qui «vieillit» le plus un visage c’est la partie moyenne et basse de la face. C’est aussi ce qui modifie le plus la perception de l’humeur qu’on a de la personne: l’affaissement des joues (la ptose cutanéograisseuse jugo-malaire), les rides péribuccales marquées, les rides d’amertumes prononcées, la vallée des larmes creusée entraînent une impression de visage triste, exprimant le dégoût, l’image d’un être fatigué(1). Ainsi le masque permet un sentiment de rajeunissement, de meilleure forme, de meilleure humeur pour la personne qui le porte, en cachant cette partie du visage. Plusieurs personnes, essentiellement des femmes, m’ont exprimé leur sentiment de bien être retrouvé par le fait d’être masquée. L’équilibre entre être et paraître en société, reste précaire.
Le masque en dissimulant une partie de soi, ne fait-il que renforcer le poids de la conscience sociale des individus au détriment de leur conscience profonde? Soulever le masque permet parfois de diagnostiquer une maladie cutanée, une tumeur mais c’est parfois démasquer un mal être inavoué. La vertu protectrice du masque face au risque infectieux ne cache-t-elle pas la possibilité pour certaines personnes d’être plus authentiques ou la volonté au contraire de se déguiser en prenant le masque d’une autre personne ? Autant de questions qui nous invitent à méditer la recommandation d’Oscar Wilde «soyez vous-même, tous les autres sont déjà pris».
Références :
1)Michaud T., Gassia V., Belhaouari L. :La dynamique faciale et les expressions faciales émotionnelles : intérêt dans le traitement du vieillissement du visage ; réalités thérapeutiques en dermatologie #231_mars 2014_cahier2_dermatologie esthétique
2)De Beauvoir S . La vieillesse, Gallimard, 1973.
3) Wilde O. Soyez vous-même, tous les autres sont déjà pris, ed. Différente, 2020.
[1] L’hypertrichose est une augmentation de la quantité de poils localisée ou généralisée.