Cyril Hazif-Thomas, Directeur de l’EREB
Le débat sur le caractère obligatoire de la vaccination progresse au rythme des inquiétudes relatives aux variants et à la crainte de voir la course entre virus et vaccin être perdue au profit de la Covid-19. La question s’insère dans le débat citoyen mais aussi sociétal : la vaccination, un devoir éthique des soignants à l’ère d’une pandémie ? La France est d’ailleurs l’un des rares pays européens à rendre obligatoire cette pratique médicale essentielle en termes de prévention d’un certain nombre de maladies contagieuses, non sans en recommander le principe pour une série d’autres. L’article L. 3111- du CSP impose précisément, depuis la loi n°2017-1386 du 30 décembre 2017, sauf contre-indication médicale, la vaccination contre 11 maladies, pour l’admission dans toute école, des enfants nés à partir du 1er janvier 2018. Malgré cette constance de la politique vaccinale française, la population continue de se méfier de plus en plus des effets secondaires graves suite à des injections de vaccins, notamment depuis l’arrivée des vaccins à ARN messager. De sorte que la campagne actuelle contre le SARS-Cov2 patine, non sans faire craindre une quatrième vague à l’automne. Cette difficulté à convaincre est le revers de la médaille de la stratégie de recommandation, d’autant plus prégnante qu’il est clairement établit par le droit français de la santé que le médecin ne doit pas imposer son point de vue au patient, qui prend, avec lui, une fois éclairé sur les bénéfices et risques de l’acte médical en question, la décision concernant sa santé (art. L. 1111-4 CSP). Mais comme résumé par M. Weber, « si l’approche objective du rapport bénéfices-risques permet de lever certains des embarras de la subjectivité , elle n’est pas dénuée d’inconvénients : accorder un rôle décisif à des avis d’experts ne permet plus de saisir la variété des situations ; de plus, elle conduit à effacer l’importance du jugement pratique au profit de l’application des lois générales au cas particulier »[1]. La situation reste complexe du fait de l’apparition de variants et parce que les hôpitaux et les Ehpad continuent d’objectiver des taux de vaccination insuffisante parmi les professionnels de santé et d’appui à la personne.
Le CCNE a bien rappelé, dès le 18 décembre 2020, « l’importance de pouvoir vacciner les professionnels au contact de ces résidents âgés et, plus généralement le personnel des établissements de santé comme celui des hôpitaux. Ces établissements sont en effet propices à la diffusion du virus, par le brassage de populations, l’impossibilité de respecter la distanciation lors des soins, la concentration de personnes fragiles et leur immobilisation dans des lieux clos. »[2]
C’est dans ce contexte que les soignants commencent à être pointés du doigt quant à leur hésitation voire leur refus de se faire vacciner : « Une infirmière qui ne sa vaccine pas, c’est un pilote qui refuse de monter dans l’avion »[3]. Où l’on voit poindre le devoir de protection de leurs patients et aussi celui, plus délicat, d’exemplarité. Délicat, car c’est oublier qu’une pure rationalité ne commande pas l’intégralité de ce débat ; d’autres facteurs plus irrationnels, y participent, dont la peur est un des facteurs clés. En tant que chef d’équipe, on peut avoir à montrer l’exemple afin d’emmener une partie de ses collègues par voie aérienne pour aller soigner des malades insulaires et pourtant avoir peur de monter dans l’avion. Cette peur est là, même si on explique au médecin que c’est un moyen de transport plus sûr que la voiture ou le train.
La phobie de l’accident et la crainte de paniquer sont présentes, qu’on le veuille ou non, au point de gâcher chez nombre de nos concitoyens leurs projets professionnels ou ceux, de vacances à l’autre bout du monde. Dans ces cas, qu’on soit professionnel de santé ou pas, notre amygdale n’est plus régulée et les peurs ne sont plus contrôlées, rendant compte du fait que « La phobie est une peur intense et irrationnelle provoquée par une situation ou objet particuliers, non dangereux ». Dans ces cas il s’agit de rassurer, de découvrir les raisons de cette peur de la peur, d’expliquer comment y remédier et de travailler la confiance en soi… et celle dans les pouvoirs publics, pour ce qu’il en est de la politique vaccinale.
Les journalistes relaient cette peur tout en indiquant que face aux non-vaccinés la patience a des limites : ainsi, d’après caroline Fourest, la société ne pourra se montrer solidaire avec le personnel soignant dont une partie refuse toujours de s’immuniser : « Pas des médecins ni des infirmières, mais les petites mains de l’hôpital, rattrapées par la fatigue et la peur, plus sensibles aux théories du complot »[4]. La vérité oblige de dire que tous les soignants connaissent à un moment ou un autre la fatigue et la peur, et que s’il n’y a pas de raison de douter de leur courage au quotidien, il convient d’admettre aussi leur désorientation dans un climat de démocratie sanitaire en partie défaillante[5], où la part des personnels moins qualifiés que d’autres est peu ou difficilement appréhendable dans ce phénomène de résistance ou d’hésitation vaccinale.
Les soignants ont aussi à gérer leur peur au quotidien du virus qui ne se superpose pas nécessairement au vécu anxieux des usagers[6], les soignants refusant de se faire vacciner expliquant souvent leur crainte par l’incertitude à long terme de la sécurité sanitaire des vaccins actuels : “On a peur car on n’a pas de recul avec le vaccin”. La presse relaie l’existence de soignants rétifs à la vaccination : « surtout les soignants ont désormais moins peur d’un virus qu’ils ont dû combattre presque sans protection durant la première vague que du produit censé les en protéger […] Pour beaucoup l’attentisme est de rigueur »[7].
Mais leurs représentations sont plus aisément mobilisables, au vu de leur fonds de connaissances professionnelles : ainsi certains seront-il plus sensibles que d’autres à l’argument actuellement en cours selon lequel le vaccin est un bouclier anticluster[8] ou aux garanties de la pharmacovigilance, impliquant « la nécessité de se donner des moyens accrus à l’échelle nationale, européenne et internationale pour repérer et analyser tous les signaux d’alerte relatifs à la sécurité de ces vaccins, pour permettre aux autorités de réagir très rapidement en cas de signalements inquiétants »[9],
C’est donc moins en culpabilisant les collègues, qu’en les aidant à contrôler leurs peurs, humaines, trop humaines, d’effets secondaires graves, qu’on pourra garder l’élan vaccinal, et notamment atteindre les objectifs gouvernementaux ; le ministère de la santé ne s’est-il pas donné pour objectif d’avoir complètement vacciné 35 millions de personnes à la fin du mois d’août et d’atteindre à cette même date 40 millions de primo-vaccinés ? Les constats réalisés aujourd’hui indiquent qu’une grande-partie des créneaux sont bloqués pour la complétude des schémas vaccinaux, cependant qu’un nombre croissant de créneaux sont libres et que les « vaccinodromes » ne font plus le plein.
La tentation est donc soit d’inciter fermement, soit d’obliger à vacciner.
Inciter résolument, c’est, avec le « pass sanitaire » ou son équivalent, faire comprendre qu’on ne peut se rendre à l’étranger, ou à un festival ou à un regroupement sportif, qu’avec la preuve d’un test PCR négatif[10], du certificat de vaccination terminée ou d’une attestation d’immunité naturelle . Ainsi Selon le Dr Trivalle : « Ils viennent plus volontiers dès qu’ils y trouvent un intérêt personnel. Par exemple quand ils projettent de partir à l’étranger et qu’ils pensent devoir fournir une preuve de vaccination pour prendre l’avion. Si demain, on leur dit qu’il faut avoir été vacciné pour pouvoir aller au cinéma et au restaurant, j’ai le sentiment que la demande va monter en flèche »[11]. On est alors dans le registre du consentement sous pression, d’autant plus que côté soignants la protection des patients qu’aide à établir la vaccination de sa propre personne, est un devoir professionnel fondamental[12].
Obliger à vacciner, c’est acter d’un autre côté que les autorités nationales disposent d’une large marge d’appréciation en ce qui concerne la santé publique, notamment de par “l’argument majeur que constitue le consensus scientifique autour de la nécessité d’une immunité de groupe”, “ainsi que la nécessaire solidarité entre ceux qui peuvent se faire vacciner et ceux pour lesquels la vaccination est médicalement contre-indiquée”, dans un contexte de besoin social impérieux. Mais il convient alors de recourir à la loi (Constitution, art. 34), de vérifier l’absence de mesures moins prescriptives pour atteindre l’objectif poursuivi, c’est à dire de constater l’échec relatif de la politique de recommandation, mais aussi déterminer les sanctions en cas de non-respect de l’obligation définie. A ce titre, nul doute que le récent arrêt de la CEDH Vavrikcka e.a. c/ République tchèque du 8 avril 2021[13], milite pour une évolution de cet ordre[14] : la Cour y rappelle certes que, de jurisprudence constante, “l’intégrité physique d’une personne relève de sa vie privée au sens de l’article 8 de la Convention EDH, et qu’en tant qu’intervention médicale, la vaccination obligatoire constitue une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée” mais elle indique aussi que lorsque les mesures sont proportionnées, les autorités nationales n’excèdent pas les limites de l’ample marge d’appréciation dont elles bénéficient en la matière. Cette jurisprudence récente vient à point nommé réaffirmer qu’ « au rappel des pratiques médicales, il apparaît que toute atteinte à l’intégrité n’est pas proscrite. Le corps humain doit pouvoir faire l’objet de certains actes ou, sinon, la médecine et la chirurgie sont condamnés à reculer »[15].
Dit autrement mais avec force : « « Obligation » n’est pas un gros mot quand il s’agit de vacciner contre la Covid-19 »[16] ! Sans doute, ainsi que le mentionne le Pr Moquet-Anger en conclusion de cet arrêt Vavrikcka : “Les autorités françaises semblent privilégier l’adhésion à la vaccination ainsi que le “passe sanitaire” qui a le mérite du libre choix, celui de la liberté-responsabilité”[17], mais pour combien de temps encore, lorsqu’on se rappelle que l’argument, auparavant réaliste, du manque de vaccins, ne tient plus ?
[1] JC Weber, La dimension éthique des rapports bénéfices-risques, ScienceLib-Intersection, éditions Mersenne : vol.1 , 2011 : pp 157-175, p. 158.
[2] CCNE, Enjeux éthiques soulevés par la vaccination contre la Covid-19, opinion du 29 mars 2021 : https://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/ccne-cnerer_-_opinion_25.03.21.pdf
[3] A. Skjellaug, « Une infirmière qui ne se vaccine pas, c’est un pilote qui refuse de monter dans l’avion », Le Temps, 8 mai 2021.
[4] C. Fourest, Non-vaccinés : la patience a des limites, Marianne, 25 juin 2021, n°1267 : 66,
[5] CNS, Avis « La démocratie en santé en période de crise sanitaire » du 20 janvier 2021, adopté en assemblée plénière : « Au niveau national, concernant la vaccination contre la Covid 19, la cohérence entre les instances ou organisations d’expertise scientifique existantes ou nouvelles (Commission technique des vaccinations, Haut Conseil de santé publique, Conseil scientifique, Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale, …) sont peu lisibles et peu compréhensibles » selon l’avis de la Conférence Nationale de Santé.
[6] Y. Quenium, R. Mendzat, Le philosophe au chevet du soignant angoissé en période covid-19, Soins Psychiatrie, 2022, n°331 : 39-41,
[7] N. Paulin, « Vaccins : en gériatrie, des soignants rétifs », Libération du 30 juin 2021.
[8] HAS, Stratégie de vaccination contre le COVID-19 Anticipation des scénarios possibles de vaccination et recommandations préliminaires sur les populations cibles, 27 juillet 2020 : https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2020-07/rapport_strategie_vaccination_covid_19_vf.pdf
[9]HAS, Stratégie de vaccination contre le Sars-Cov-2 Recommandations intermédiaires sur les modalités de mise en œuvre de la vaccination, 10 déc, 2020,
[10] Soit la preuve d’un test négatif RT-PCR ou antigénique de moins de 48h pour l’accès aux grands événements concernés et de 72h maximum pour le contrôle sanitaire aux frontières
[11] N. Paulin, Pique et pique et colère à l’hôpital, Libération du 6 mars 2021.
[12] CNOM, La vaccination des soignants est une exigence éthique, communiqué de presse, 6 mars 2021.
[13] CEDH, gde ch., 8 avril 2021, n°47621/13, Vavrikcka e.a. c/ République tchèque.
[14] En l’espèce, le premier requérant s’était vu infliger une amende car il n’avait pas fait vacciner ses deux enfants, et les autres requérants n’ont pas été admis à l ’école maternelle pour des raisons similaires.
[15] R. Badinter, Les droits de l’homme face aux progrès de la médecine, de la biologie et de la biochimie, Le Débat 1985/4, n°36 : 4-14,
[16] “Obligation” n’est pas un gros mot quand il s’agit de vacciner contre la Covid-19 Communiqué de l’Académie nationale de médecine 25 mai 2021.
[17] M. L. Moquet-Anger, L’obligation vaccinale devant la Cour européenne des droits de l’homme, Recueil Dalloz 2021, p. 1176.