Billet éthique – Le caractère dit opposable des directives anticipées

Le caractère dit opposable des directives anticipées

Cyril Hazif-Thomas

 

Les directives permettent au sujet empêché de faire connaître, par anticipation, ses souhaits concernant sa fin de vie. En apprécier l’importance suppose de comprendre que « La volonté, qu’elle soit individuelle dans la sphère privée, ou commune dans la vie publique, est un des socles de notre Etat de droit » (1). Alors que la personne de confiance a été introduite en 2002 par la loi Kouchner dite « droits des malades » (2), la place des directives anticipées vient, elle, de la loi Léonetti, promulguée en 2005 (3).

Chacun a pu se rendre compte qu’avant une intervention chirurgicale, il était demandé au malade de désigner sa personne de confiance. L’invite-t-on de même à partager ses directives anticipées et, si elles existent, s’inquiète-t-on de savoir si elles sont consultables ? Cela n’est malheureusement pas encore fait systématiquement ni même souhaité.

Ainsi, bien que les enjeux humains, thérapeutiques, sociétaux, éthiques et juridiques, voire spirituels, soient d’importance, ces possibilités sont, de l’avis général, peu entrées dans les mœurs, et largement sous-estimées. C’est que, pour que ce dispositif prenne de l’importance, « Les directives doivent en effet être claires et précises pour être mises en œuvre. Les termes utilisés n’ont pas toujours le même sens pour le malade et le corps médical » (4).

Mais, même si la loi place désormais les directives anticipées en tête des éléments à consulter par le médecin en charge du patient en fin de vie, « il n’est pas rare que le SAMU, appelé par la famille désemparée, réanime un patient en fin de vie à son domicile, alors que telle n’était pas sa volonté » (1). Le fait que les directives anticipées soient encore très insuffisamment investies, est dommageable pour la démocratie sanitaire, et il semble que les médecins ne soient pas encore au clair avec le caractère dit « opposable » des « dites » directives. Mais encore faut-il qu’elles se disent, qu’elles se discutent, avant que d’être écrites ; en effet avec ces directives anticipées, le patient ne devient pas le prescripteur, mais il voit sa volonté mieux prise en compte, incarnant bien une valeur d’outil de dialogue.

Il semble qu’aujourd’hui, on ne peut évoquer ces  directives sans y accoler automatiquement le mot opposable : ainsi de Jean-Pierre Benezech parlant de la « la loi de février sur les  directives anticipées opposables » (5). Mais outre que l’énoncé de la loi est tout autre (Loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie), le rapport préparatoire de Messieurs Claeys et Léonetti de février 2015 prend soin de bien marquer la philosophie de ces directives, qui est de prendre place dans la continuité de la loi de 2002, qui « a rendu la parole du malade opposable s’agissant de l’arrêt des traitements » (p. 23 du rapport; 6) et « une meilleure prise en compte des directives anticipées, contraignantes et non opposables » (ibid, p. 28). Certes, d’autres prises de parole évoquent l’opposabilité, largement médiatisée, mais cela n’est pas exactement à mettre sur le même plan que le secret médical qui, lui, n’est pas opposable au patient.

Le caractère dit « opposable » semble encore poser problème en ce qu’il fait craindre aux médecins une judiciarisation de leurs pratiques. Mais ce n’est pas ce que la loi favorise, ce que le travail législatif admet lui-même, s’empressant de préciser qu’elles ne le deviendront que « sous condition ». Ce que le législateur veut passer comme message en employant, dans son travail préparatoire, l’adjectif « opposable », c’est surtout que les directives ne puissent « plus être ignorées, au nom de l’expertise du médecin, sans porter atteinte à la liberté individuelle du malade (ibid, p. 113).

La loi n°2016-87 du 2 février 2016 en son art. 8  dispose donc que « Les directives anticipées s’imposent au médecin pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement, sauf en cas d’urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation et lorsque les directives anticipées apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale » (L-1111-11 du CSP). Désormais non limitées dans le temps, elles ont donc une force obligatoire. Elles sont impérieuses, sauf urgence et lorsqu’elles apparaissent inappropriées ou non conformes à la situation médicale. Ce n’est donc pas parce que le médecin, qui a obligation d’en rechercher l’existence, doit les respecter, qu’elles s’opposent à son indépendance professionnelle et à son raisonnement médical. Avant d’être envisagées comme ayant, selon le Cnrtl la « «qualité d’un moyen de défense qu’on peut faire valoir contre un adversaire«  (Cap.); de opposable, suff. -(i)té*, elles sont les moyens d’une alliance thérapeutique, d’un soin et d’un traitement plus conformes à la volonté prorogée du malade, de même que la personne de confiance  doit être regardée comme un moyen de reconstituer la volonté du patient. Comme l’écrit Madame Grosset, « Par son anticipation, la volonté perdure au-delà du silence et de l’empêchement » (1).

Un droit opposable est un « droit à » que le citoyen à qui « il a été reconnu » peut opposer à une autorité chargée de le mettre en œuvre. L’autorité médicale ici visée demeure toutefois seule à même d’en juger puisqu’en cas de non suivi par le médecin d’une recommandation volontaire écrite dans les directives anticipées, il est prévu que « La décision de refus d’application des directives anticipées, jugées par le médecin manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale du patient, est prise à l’issue d’une procédure collégiale définie par voie réglementaire et est inscrite au dossier médical. Elle est portée à la connaissance de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de la famille ou des proches. » (Art. L. 1111-11 CSP). Il n’est donc pas prévu que l’autorité médicale soit d’emblée récusée, mais il est voulu qu’elle soit plus large que la seule autorité du médecin en charge du malade et donc désormais incarnée par la procédure de collégialité.

En réalité il est abusif de parler d’opposabilité des directives anticipées, il serait plus exact de parler d’opposabilité, d’ailleurs limitée, de la volonté des directives.

Les enjeux pour les soignants passent par la valorisation de formations adaptées afin de les guider dans le partage autour de ce mécanisme encore trop source de crainte : vais-je parler comme il faut au malade ? Comment dois-je m’y prendre pour bien faire ? Cela ne va-t-il pas l’effrayer, voir induire un état dépressif ? Il faut évidemment les aider à savoir comment aborder le sujet de la fin de vie et les directives anticipées dans le respect du profil psychologique du malade, de sa personnalité et des raisons du soin et/ ou de son hospitalisation.

Que faire d’autre, afin que ces documents existent et entrent véritablement dans la pratique médicale, sinon de s’appuyer encore plus sur les acteurs de terrain, notamment en soins premiers, et à l’évidence sur les médecins traitants et les infirmiers libéraux ? Ce n’est que dans cet esprit de discussions anticipées, qui prépareraient les directives anticipées proprement dites, qu’on devrait pouvoir déboucher sur un accord des volontés plus adéquat à la situation médicale, à laquelle il n’y a pas lieu de « s’opposer pour s’opposer ».

 

Bibliographie

  1. Grosset, Etude sur les directives anticipées et la personne de confiance : le rôle du tiers dans l’expression de la volonté du sujet empêché, Recueil Dalloz, 2019 (17 oct.), n°3 : 1947-55).
  2. Loi n°2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.
  3. Loi n°2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des maladies et à la fin de vie, JORF n°95 du 23 avril 2005, page 7089, texte n° 1.
  4. Interview du professeur Vincent Morel, propos recueillis par Frédérique Schneider, le 20/06/2019, https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Ethique/Affaire-Lambert-Francais-remplissent-directives-anticipees-2019-06-20-1201030284)
  5. JP Bénézech, Le palliatif est un soin de la société, Sauramps Médical, 2018, p. 55.
  6. Rapport fait AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION DE LOI créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, PAR MM. ALAIN CLAEYS ET JEAN LEONETTI, Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 février 2015.

 

Le 30 octobre 2019, Dr Cyril Hazif-Thomas, Directeur EREB