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Billet éthique : Repenser les fondements de l’éthique médicale à la lumière de l’affaire du Médiator

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Dr Cyril Hazif-Thomas, directeur de l’EREB

Les fondements de l’éthique médicale ne se résument pas à l’étude studieuse des textes philosophiques ou du code de déontologie médicale (1), même si cette méditation peut avoir ses vertus propres, celles notamment de faciliter l’approche prudentielle et la connaissance de la doctrine.

On a bien sûr tous en tête que les questions éthiques ne peuvent plus être discutées par référence à une seule morale traditionnelle ou à l’expérience acquise par le soignant durant son parcours professionnel. L’heure est en partie révolue où « Aux yeux des médecins français liberté, moralité et qualité vont de pair » (2)

Les structures éthiques, hospitalières ou issues du secteur médico-social, sont maintenant mieux identifiées et sans doute plus accessibles sur le territoire sanitaire.

De même on reconnaît volontiers les vertus du pluralisme, principe constitutionnel fondamental (3), pour la bonne marche d’un comité éthique.

On voit bien encore l’intérêt de règles de fonctionnement se référant à la démocratie sanitaire, ou celui d’un règlement intérieur « dans un souci de transparence et de lisibilité des structures » (4).

Et tout cela se vérifie en effet comme s’affirme clairement l’intérêt d’une vraie réflexion quant au fond d’une problématique tant il est vrai que  « L’éthique est un exercice de discernement de conflits de valeurs » (5).

Mais on évoque beaucoup moins l’importance d’acquérir une réelle maturité éthique pour les acteurs du système de santé, et on fait insuffisamment attention à ce qui la nourrit : le professionnalisme ; c’est sur quoi insiste l’Association Médicale Mondiale dans son manuel consacré à l’éthique médicale : « Afin de répondre à la fois aux attentes des patients et des étudiants, il importe que les médecins connaissent et démontrent les valeurs fondamentales de la médecine, notamment la compassion, la compétence et l’autonomie. Ces valeurs constituent, avec le respect des droits humains fondamentaux, le fondement de l’éthique médicale » (1 ; p.17).

Comment effet rendre au malade sa place de sujet vulnérable sans la mise en œuvre de ces qualités professionnelles et aussi sans un minimum de connaissances juridiques ? Malheureusement le droit médical n’est pas, ou très peu, enseigné en médecine, ce qui favorise la peur du procès chez les praticiens qui ne savent d’ailleurs pas assez ce que sont les droits dits fondamentaux (droit à la vie, droit de ne pas être soumis à la torture ou traitements inhumains ou dégradants, droit à la liberté et à la sûreté ; droit au respect de la vie privée…) Là plus qu’ailleurs, les étudiants gagneraient à investir ce champ d’interconnaissances, ce dont l’étude de l’éthique médicale peut leur donner le goût.

Même si la loi dite Kouchner a aidé à repérer les principaux droits des malades (droit au respect de sa dignité, droit de consentir librement à l’acte médical, droit à une information « propre », accès au dossier médical…), on a toutefois pas encore pointé un droit d’importance, celui de l’alerte éthique comme droit de l’homme (5), étant entendu que nous évoquons ici les droits de l’homme à l’aulne de l’éthique du présent d’Albert Schweitzer: « Tous les droits de l’homme visent à permettre à chacun de mener une vie pleine, ce qui appelle beaucoup plus que le simple fait d’exister, par opposition à ne pas être » (7) .

Cette fonction d’alerte éthique, dite de lanceur d’alerte, concerne les « personnes soucieuses qui tirent la sonnette d’alarme afin de faire cesser des agissements pouvant représenter un risque pour autrui » (8)

Même s’il est vrai que « les valeurs de compassion, la compétence et l’autonomie n’appartiennent pas en exclusivité à la médecine, on attend des médecins qu’ils les portent à un haut degré d’exemplarité » (1), on devrait maintenant y ajouter celle du courage professionnel, qu’a si bien incarné Irène Frachon dans son combat contre le scandale du Médiator, un coupe faim dérivé d’amphétamine commercialisé comme adjuvant du diabète (9).

Celle-ci a raison de dénoncer un acte de pharmaco-délinquance, et non pas d’une erreur regrettable ou d’un aléa thérapeutique (10).

La lutte contre les conflits d’intérêt est convergente au patient labeur de poursuite de l’intérêt général, afin d’agir en vue de la vie bonne, avec et pour autrui, dans des institutions justes. Aussi est-il logique et justifié de voir l’Agence du médicament être renvoyée devant les tribunaux pour “homicides et blessures involontaires” par “négligences”, pour avoir tardé à suspendre le médicament, malgré une accumulation d’alertes sur les risques depuis le milieu des années 1990, en France et en Europe (10).

Rappelons qu’au courage indispensable pour dénoncer ce scandale, Me Frachon a joint un authentique sens de l’indépendance professionnelle, de sorte qu’elle eût la lucidité nécessaire afin de reconnaître les conséquences dramatiques, pour plus de quatre mille personnes aujourd’hui reconnues comme victimes (et combien de malades aujourd’hui sont oubliés !), de cette banalisation de la situation de conflits d’intérêt, soit une « situation de fait dans laquelle les objectifs que doit poursuivre une personne sont compromis ou paraissent compromis pour ceux qu’elle poursuit à un autre titre » (11).

L’indépendance professionnelle, le courage personnel et le souci des plus faibles assurent une force éthique qu’il est indispensable de cultiver dans l’action soignante, administrative et judiciaire au quotidien. De même s’impose désormais une plus grande transparence dans le fonctionnement des institutions.

Et en effet, on ne peut ignorer que les médecins impliqués dans des « collusions » avec certaines firmes pharmaceutiques, ou ayant aliéné leur indépendance professionnelle en vue de la recherche de rentabilité pour la rentabilité (1995) [ou de bénéfices indus (2016)], risquent leur réputation aux yeux de leurs pairs et verront immanquablement engagée leur responsabilité professionnelle ou pénale dans la spirale de la judiciarisation de leur comportement tant la subordination de leur décision est condamnable au plan éthique (12).

Pour les magistrats il s’avère aussi que « l’éthique médicale intègre le référentiel de motivation des magistrats au côté de la loi, des décrets, des recommandations de bonne pratique et de l’usage comme un VISA d’ordre supérieur et fondamental » (13).

L’éthique médicale n’a donc pas seulement à considérer les interrelations entre jugement médical (la prudence) et les normes déontologiques (les devoirs moraux des médecins devenus des « droits des malades » pour certains).

Elle a aussi à assumer une « fonction critique de deuxième degré » ou « fonction réflexive » pour contenir « le conflit potentiel impliqué par la dualité d’intérêts qui est censé servir l’art médical, l’intérêt de la personne et celui de la société » (P. Ricoeur ; 12)

On voit que jusque-là on s’arrêtait « à la société »  (donc à l’intérêt général) : dans cette dualité s‘est glissée le conflit d’intérêt et l’on s’interroge -et donc on s’organise aussi- par rapport à une société privée, à un intérêt privé qui risque de l’emporter sur l’intérêt général.

Cyril Hazif-Thomas, le 26 janvier 2020.

 

Références

  • Manuel d’Éthique Médicale (3ème éd.), Association Médicale Mondiale Inc., 2015, file:///C:/Users/cyril/Downloads/Ethics_manual_3rd_Nov2015_fr%20(1).pdf
  • Blondel et les Pr R. Auvigne, R. Legrand, et al, 1er Congrès de Morale médicale, Paris, oct. 1955, ONM, L’expérience française de l’ONM.
  • Droit des comités d’éthique: CC, 11 janv. 1990, Rec., p 24.
  • -L. Moquet Anger, L’uniformité de l’éthique et des comités d’éthique entre structures médico-sociales et établissements de santé, in L’Ethique dans les structures médico-sociales, Les Carnets de l’EEBO, 2012.
  • Gil, Directeur de l’ERENA, les grandes questions de bioéthique, au XXI è siècle dans le débat public, 2018, LEH éd., Coll.Les chemins de l’éthique, 468 p.
  • Larché, Brèves réflexions sur la qualification de l’alerte éthique comme droit de l’homme, La Revue des droits de l’homme, 10 | 2016.
  • Schweitzer, Vivre, Paroles pour une éthique du temps présent, Espaces libres, Albin Michel, Paris, 1970, 228p.
  • Définition donnée par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Résolution 1729 [2010], 29 avril 2010, « Protection des donneurs d’alerte ».
  • Casassus, Drug scandals in France: have the lessons been learnt? The Lancet, 2016, 388, (10044):550-552
  • Procès du Mediator : Irène Frachon, le combat d’une lanceuse d’alerte, https://www.lci.fr/justice/proces-du-mediator-irene-frachon-le-combat-d-une-lanceuse-d-alerte-2132917.html
  • Truchet, Conclusion du livre Les conflits d’intérêt à l’hôpital public, Presses de l’EHESP, 2015.
  • Dr Louis René, CDM, Préface de Paul Ricoeur, Ed; du Seuil, 1996.
  • Maître Bénédicte Anav, L’Éthique et le Juge, CHALLENGE N°73 – OCTOBRE 2019, p.5
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