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Billet éthique – L’éthique à l’épreuve dans la lutte contre le Covid19 ? « Les français devant leur responsabilité »

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L’éthique à l’épreuve dans la lutte contre le Covid19 ?

 « Les français devant leur responsabilité » 

Cyril Hazif-Thomas, directeur de l’EREB

 

Le 30 janvier 2020 au regard de l’ampleur de l’épidémie l’OMS a déclaré que cette épidémie constituait une Urgence de Santé Publique de Portée Internationale (USPPI).

Depuis son émergence en Chine, l’emprise du Covid 19 sur les esprits et les corps s’est montrée croissante depuis l’évolution de la « donne infectieuse » marquée par la situation critique de l’Europe, devenue épicentre de l’épidémie.

Evoquant la pertinence littéraire de la Peste de Camus (1) et ses ressemblances mais aussi ses dissemblances avec notre actualité virologique et sociale, le Professeur Gil, directeur de l’ERENA, écrit:  « Enfin, parce qu’il faut clore ces antilogies, la peste de Camus est une allégorie qui raconte un difficile combat démocratique contre la Peste qui est la métaphore des totalitarismes alors que l’épidémie de coronavirus se suffit de sa concrétude et n’est rien d’autre qu’une épidémie qui renvoie de manière linéaire à l’angoisse de contamination, à l’angoisse de mort, aux conséquences sociales, économiques, financières de la propagation du virus. » (2).

Mais la référence à la peste reste encore riche de sémiose pour notre nation, à l’heure où le Premier ministre nous intime, dans un esprit de responsabilité, la préconisation d’éviter tout lieu public « non indispensable avec la vie de la nation »[1]. Ceci après l’annonce par le Président de la République, de la fermeture des crèches et établissements scolaires jusqu’à nouvel ordre[2].

Si l’on substitue le mot nation au mot armée, la réflexion de Napoléon à Sainte Hélène sur son expérience de la peste en Egypte, sonne étrangement juste aujourd’hui avec ce positionnement central du Covid 19 comme nouvel ennemi de l’ordre public sanitaire, à l’origine d’une peur risquant tout autant de devenir « virale » que celle suscitée par « La peste [qui] est un des plus grands ennemis que l’armée ait à redouter, par la perte d’hommes qu’elle occasionne, par l’effet moral qu’elle produit sur les esprits, par la langueur où elle laisse même ceux qui en guérissent. Il faut n’accorder aucune exception aux règlements sanitaires de Marseille, et bien surveiller les lazarets » (3).

Mais la Nation n’est pas l’armée, ne serait-ce que parce qu’elle est bien plus difficile à discipliner. A la nation est attachée l’idée de souveraineté, qui réside dans le Peuple selon l’article 3 de la Constitution de la cinquième République.

Selon Ernest Renan : “La nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis. […] Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposé à faire encore.” (4)

La solidarité apparaît ici centrale, et c’est d’ailleurs avec ce levier conceptuel que le Comité Consultatif National d’éthique (CCNE) tente d’élever le débat éthique autour de l’autonomie : « être autonome, c’est être libre avec les autres et non pas contre eux ; inversement, la solidarité consiste à permettre au plus grand nombre de personnes d’exercer leur autonomie. » Dans une épidémie de cette nature, « une autonomie mal comprise qui se traduirait par un refus de soin [de la part du patient], dont l’effet serait de favoriser la propagation de la maladie, serait difficilement acceptable par la société. Elle devrait s’effacer au nom de la solidarité. » (5).

 

Dans cette perspective, « Les pouvoirs publics pourraient prendre « des mesures contraignantes, telles que la réquisition ou le confinement de certaines catégories de citoyens, ou des restrictions à la circulation » (5). La vérité est de dire que c’est déjà le cas, avec d’ailleurs nombre de décisions qui se sont avérées bien incertaines en termes de base légale, car issues de l’autorité municipale ou préfectorale. La liberté constitutionnelle d’aller et de venir peut certes être entravée dans des circonstances graves, mais pour combien de temps et avec quelle garantie législative ?

Pourtant la loi est claire : selon l’article L. 3131-1 du CSP, « en cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d’urgence, notamment en cas de menace d’épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l’intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population ». Il peut par ailleurs « habiliter le représentant de l’Etat territorialement compétent à prendre toutes les mesures d’application de ces dispositions, y compris des mesures individuelles ». Face à l’urgence, il faut donc en appeler à une police d’Etat (6), si l’on veut que les décisions prises soient accompagnées de sécurité juridique.

Comme le note toutefois Stéphanie Renard, le ministère a privilégié la voie de « préconisations », actes dits de « droit souple », dont la formulation impérative a suffi à justifier, autour des territoires des « clusters », la fermeture de plusieurs établissements privés (tels que des salles de cinéma) ou des mesures d’organisation du service public restreignant l’accès de ce dernier à ses personnels ou à ses usagers (établissements scolaires et universitaires, caisse primaire d’assurance maladie). Cette situation explique que les préfets de l’Oise et du Morbihan, premiers territoires concernés, aient agi au titre de leurs pouvoirs de police générale. » (6)

Notons aussi que le mot confinement semble s’être substitué à celui moins « moderne » de quarantaine. Le terme de quarantaine, de l’italien quaranta, a en effet bien plus de connotation religieuse que celui de confinement, associé qu’il est avec les notions de Déluge, de séjour de Moïse sur le mont Sinaï, ou à celle de la retraite de Jésus dans le désert. Dans l’Ancien Testament, le « Lévitique » (chap. XIII) imposait ainsi d’isoler tout lépreux hors du campement. Moïse recommandait après tout contact avec un lépreux 40 jours de purification. En Egypte, Ramsès II (vers – 1250) fit déporter plusieurs milliers de lépreux vers le désert Libyque.

L’ancrage politique de la quarantaine dans notre civilisation tient surtout à la République de Venise qui a porté la durée d’isolement de 30 à 40 jours, instituant la « quarantaine » au sens littéral du mot. Principale plaque tournante du commerce avec l’Orient, elle organisa un isolement sanitaire des biens et des personnes qui fera référence pendant plusieurs siècles.

Cette tradition d’endiguement des épidémies explique en partie que les réactions de défense de la société contre un fléau sanitaire ont d’abord reposé sur les autorités locales : « La lutte contre les épidémies et « autres fléaux calamiteux » a longtemps reposé sur le maire, dans l’idée que la santé relevait d’une affaire de proximité. » (6). Mais « C’est désormais un schéma descendant qui prévaut, les pouvoirs de défense sanitaire relevant d’une police d’Etat qui a notamment fait ses preuves en 2009 lors de la menace liée à la grippe A/H1N1. L’actualité montre toutefois que la police locale n’est pas en reste. » (6).

L’appel éthique à la responsabilité, l’élan de solidarité sociale doivent-il primer sur le pouvoir de police d’Etat face à un fléau sanitaire, la loi morale qui unit doit-elle avoir préséance sur la loi qui tranche ? Là comme ailleurs, en dehors des modèles autoritaires que nous renvoient les premiers lieux de dissémination du virus, il faut raison garder, et rappeler avec le CCNE que « Selon le droit, les restrictions générales ou particulières aux libertés individuelles doivent être décidées et appliquées conformément à la loi, être conformes à un objectif légitime d’intérêt général, être proportionnées et strictement nécessaires pour atteindre cet objectif, sans comporter de mesure déraisonnable ou discriminatoire, et être définies compte tenu des données acquises de la science, en particulier sur leur efficacité» (5). L’activité des librairies, des fleuristes, de certains commerces de proximité n’est sans doute pas « indispensable à la vie de la nation » mais la fermeture de leurs portes ou la mise hors circuit de l’emploi de travailleurs indépendants participe-t-elle vraiment à la proportionnalité et à l’efficacité des décisions de confinement ?

Ces restrictions et probablement ces privations de liberté à venir doivent respecter l’esprit des droits de l’homme de 1789, liés à une certaine intelligence collective, concrétisant la citoyenneté nationale et la participation responsable à la vie commune. La gravité potentielle des conséquences des décisions actuelles et à venir, comme « la fermeture des tribunaux, sauf pour les contentieux essentiels »[3], ne mériterait-elle pas un débat à l’Assemblée Nationale ? C’est en respectant ces gardes fous éthiques que nous pourrons nous souvenir avec Ernest Renan : « Je me résume, Messieurs. L’homme n’est esclave ni de sa race ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagne. Une grande agrégation d’hommes, saine d’esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s’appelle une nation. » (4)

Références :

  1. Camus, La Peste, Gallimard, 1972, Folio n°42, 368 p.
  2. Gil, Covid-19 : Une nouvelle page de l’histoire des épidémies ? Mars 2020, https://poitiers.espace-ethique-na.fr/actualites_931/coronavirus_2332.htmlil.
  3. Mémoires pour servir à l’histoire Napoléon, dictés par lui-même à Sainte Hélène et publiés par le général Bertrand, Paris, Au comptoir des imprimeurs-Unis, 1847.
  4. Renan, Qu’est-ce qu’une nation ? Mille Et Une Nuits, La petite collection, nov. 1997, 48 p.
  5. COVID-19, CONTRIBUTION DU COMITÉ CONSULTATIF NATIONAL D’ÉTHIQUE : Enjeux éthiques face à une pandémie, accessible sur le site du CCNE : https://www.ccne-ethique.fr/fr/type_publication/avis, publié le 13 mars 2020.
  6. Renard, Coronavirus, urgence sanitaire et police locale, AJ Collectivités Territoriales 2020 p.112.

[1] « Il s’agit notamment des restaurants, cafés, cinémas, discothèques. Les lieux de culte resteront ouverts, mais les rassemblements et les cérémonies devront être reportés. Il s’agit également de tous les commerces à l’exception des commerces essentiels. Resteront notamment ouverts les magasins et marchés alimentaires, les pharmacies, les stations essence, les banques et les bureaux de tabac et de presse. Tous les services publics essentiels resteront évidemment ouverts », https://www.gouvernement.fr/info-coronavirus#xtor=SEC-3-GOO-[{adgroup}]-[425080454107]-search-[coronavirus%20maladie].

[2] « Dès lundi et jusqu’à nouvel ordre, les crèches, les écoles, les collèges, les lycées et les universités seront fermés pour une raison simple : nos enfants et nos plus jeunes, selon les scientifiques toujours, sont celles et ceux qui propagent, semble-t-il, le plus rapidement le virus, même si, pour les enfants, ils n’ont parfois pas de symptômes et, heureusement, ne semblent pas aujourd’hui souffrir de formes aiguës de la maladie. C’est à la fois pour les protéger et pour réduire la dissémination du virus à travers notre territoire », Adresse aux Français, par le Président de la République, M. Emmanuel Macron, jeudi 12 mars, https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/03/12/adresse-aux-francais.

[3] Covid-19 : Nicole Belloubet annonce la fermeture des tribunaux, sauf pour les “contentieux essentiels”, https://www.atlantico.fr/pepite/3588053/covid-19–nicole-belloubet-annonce-la-fermeture-des-tribunaux-sauf-pour-les-contentieux-essentiels-

Épidémie, pandémie, éthique et société : des ressources pour comprendre et agir
« La contribution du CCNE à la lutte contre COVID-19 : Enjeux éthiques face à une pandémie ».

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