Le confinement doit rester un soin
Dr Cyril Hazif-Thomas, directeur de l’EREB
23 mars 2020
Le développement de l’épidémie de coronavirus a conduit plusieurs pays, l’Italie, l’Espagne puis la France à passer d’une stratégie de prévention de l’installation du virus Covid 19 sur leurs territoires à la mise en place d’une organisation d’endiguement du développement de la contagion virale. Depuis le 17 mars, les Français sont confinés n’ayant le droit de sortir de leur lieu de confinement que pour quelques rares situations légalement prévues par décret[1], encadrées, contrôlées et éventuellement sanctionnées. Le vote le 21 mars 2020 à l’Assemblée Nationale du texte permet au gouvernement « en tant que de besoin » de prendre des mesures « limitant la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre et la liberté de réunion, dans la seule finalité de mettre fin à la catastrophe sanitaire »[2].
D’autres types de mesures ont été prises pour endiguer l’épidémie sans confinement de la totalité de la population dans d’autres pays, Corée du Sud et Taiwan, qui utilisent un SOP adapté (Standard Operating Procedure), soit un ensemble de procédures opérationnelles standardisées regroupant six types d’actions : larges informations de la population, insistantes et transparentes ; dépistage massif des sujets suspects d’être infectés, symptomatiques ou non ; recherche méthodique des sujets avec lesquels ces derniers ont été en contact (rôle du téléphone portable pour le traçage) ; mise en confinement uniquement des sujets infectés et contagieux; traitement des malades; désinfection des espaces contaminés[3].
Les deux types de procédures nécessitent, pour réussir à limiter l’impact de l’épidémie sur la population, l’adhésion de celle-ci aux projets mis en place, et ce dans la durée, donc une compliance certaine, ce qui impose une pédagogie de la responsabilité partagée.
Cette adhésion citoyenne emporte des vertus sociales et éthiques.
Sur le plan social, l’effort de s’isoler est une privation en particulier de relations de proximité avec les êtres aimés. Cet effort est coûteux pour chacun et peut-être soutenu par des contacts épistolaires, à condition que les services postaux perdurent, que soient fonctionnelles des liaisons téléphoniques et Internet, en espérant qu’elles ne soient pas saturées. Il risque d’être coûteux sur le long terme. La fin des poignées de main et le respect de la distance de sécurité gardée par précaution lorsque l’on rencontre quelqu’un par hasard, le confinement qui s’annonce très prolongé, l’isolement en particulier des plus fragiles vont modifier les règles de vie sociale et familiale, non comptée la ruine financière qui s’annonce pour certains. Cette situation pourrait être dangereuse pour certaines personnes fragiles psychologiquement.
Côté soignant, à l’hôpital, il nous faut désormais trouver l’art et la manière de continuer à permettre à nos malades de rester en lien avec leurs proches, défi redoutable à l’heure de la suspension des visites, jusqu’à nouvel ordre. Il s’agit de prendre soin des plus faibles, tant par le levier de la santé publique que par celui du soin individuel, ambitionnant plus que jamais un soin « corps et âme ».
Ignorer la politique rigoureuse de confinement strict, lâcher les gestes barrières, oublier de prévenir l’épuisement des soignants, qui ont autant besoin de masques que d’un management bienveillant, équivaudrait à l’abandon d’un puissant instrument d’assistance sanitaire et sociale.
Prenons conscience que si la crise actuelle conduit à repenser nos relations avec les autres, il n’est pas assuré qu’elle soit toujours résolue au travers d’une action menée avec bienveillance. “Ce bouleversement à grande échelle de nos comportements sociaux va forcément laisser des séquelles. Des semaines ou des mois à rester chez soi, à ne faire confiance à personne, à s’inquiéter à la moindre toux et à refuser les poignées de main : c’est un vrai poison qui va se répandre dans la société”, craint le journal britannique Unherd cité par le Courrier International du 22 mars 2020.[4]
La perte du droit de se réunir ampute le dialogue politique avec la base et accroît encore le fossé d’avec les élus. Elle est armée par la peur aujourd’hui mondialisée du chaos sanitaire. Ainsi le Pr Emmanuel Hirsch pose dans ce contexte d’incertitude la question de la vertu, au sens premier du terme, de l’esprit citoyen : « Le phénomène de « mondialisation » est transposé à l’expérience d’une pandémie, renforçant un sentiment de fragilité, de dépendance, pour ne pas dire d’impuissance, ce qui n’est pas de nature à rassurer. La crise des légitimités et des autorités dans nos démocraties, la défiance en la parole publique et à l’égard des expertises n’entraveront-elles pas la cohésion de la société ? »[5]
Cela n’est pas sans interroger sur les îlots de « non-penser », de non-réflexion, de non-recul critique, qui risquent de laisser s’imposer soit un simulacre de pensée, soit une pensée sociotropique, conventionnelle à souhait, interdisant de deviser en dehors des messages officiels. Ceci n’est pas sans rappeler l’interdiction violente du dialogue critique qui sévit parfois sur les réseaux sociaux, dont l’origine pose question et qui n’est pas de bon aloi.
A l’heure où est décrétée l’état d’urgence sanitaire, les limites ou les interdictions de réunion pour les cérémonies religieuses ou les événements familiaux, y compris les funérailles sont douloureusement vécues[6] et peuvent déliter un peu cette nécessaire cohésion nationale tant il est vrai que « l’identité entre les hommes s’établit par la sympathie et par la mort » (1).
De façon positive, le confinement a accentué les besoins de se retrouver, multipliant les appels téléphoniques dans les familles ou entre amis. Ils sont nécessaires non seulement pour prendre des nouvelles des siens, mais aussi pour se soutenir mutuellement, la situation sociale étant très anxiogène. Ils sont indispensables pour prévenir certains gestes de désespérés.
Sur le plan éthique, le confinement a des aspects thérapeutiques inattendus :
Premier avantage : les conflits sociaux ne s’expriment plus violemment sur les places publiques. Une paix sociable, possiblement provisoire, s’est instaurée pour orienter les préoccupations de chacun vers sa propre sécurité et la sécurité des autres.
Bien sûr, les problèmes sous-jacents qui les alimentaient restent pour l’instant sous le boisseau.
Second avantage : un consensus se dégage dans une large portion de la population. Une large part de la population française s’organise pour combattre ensemble le virus. Ce n’est que si chacun est responsable pour soi et pour autrui que le projet de lutte contre l’épidémie réussira.
La responsabilité ici est collective, impliquant de tenir important cet autrui inconnu pour nous et que nous cherchons par notre comportement responsable à protéger, comme un être aussi cher et aussi important que l’un nos proches. L’interdépendance prend ici un relief particulier, leçon déjà bien intégrée dans la philosophie bouddhiste du Dalaï Lama : « L’homme et la société sont interdépendants : donc le comportement de l’homme comme individu et comme partie prenante de sa société est indissociable » (2)
Troisième avantage : le repli sur des vraies valeurs existentielles, ce qui permet actuellement à la population de rendre l’hommage aux soignants et de leur exprimer un soutien, et ce qui permettra à plus ou moins long terme, les questions d’urgence et les contraintes réglées, de poser à froid les questions des responsabilités sur la situation vécue et sur celle que nous allons affronter.
Quoiqu’il en soit de ces bénéfices éthiques, l’horizon politique demeure celui d’une réponse internationale la plus coordonnée possible : « Les problèmes auxquels sont individuellement confrontés les pays (migrations, pandémies, cybercriminalité, prolifération nucléaire, Etats voyous, environnement) appelleront de plus en plus des réponses internationales » (3).
Références :
- Minkowski, Le temps vécu, Paris, Puf : 121-37.
- Sa Sainteté Le DalaÏ Lama, La place de l’éthique et de la moralité dans la politique (Article paru dans Leaders Magazine en 1979) in Mon pays et mon peuple, Mémoires. Archipoche, Paris : 1984.
- Pinker, Le progrès ou les raisons d’y croire, in « 20 penseurs pour 2020, Les meilleurs articles de la presse internationale, Philosophie Magazine éditeur, Paris, 2020 : 83-6.
[1] Décr. n° 2020-260, 16 mars 2020 ; Arrêté du 16 mars 2020 complétant l’arrêté du 14 mars 2020.
[2] « L’état d’urgence sanitaire est la seule mesure pérenne du projet de loi ordinaire. Il serait déclaré par décret en conseil des ministres et prorogé par la loi au bout d’un mois. Cette déclaration donnerait au Premier ministre le pouvoir de prendre par décret des mesures limitant la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre et la liberté de réunion ainsi que de procéder à des réquisitions. Le ministre de la santé pourrait prendre les autres mesures générales et individuelles par arrêté. Un comité scientifique rendrait des avis publics sur le dispositif », Marie-Christine de Montecler, Vers la création d’un état d’urgence sanitaire, Dalloz actualité 18 mars 2020.
[3] The Diplomat du 10/03/2020: Lessons From South Korea’s COVID-19 Outbreak, https://thediplomat.com/2020/03/lessons-from-south-koreas-covid-19-outbreak-the-good-bad-and-ugly/)
[4] https://www.courrierinternational.com/article/vu-de-letranger-le-coronavirus-signe-t-il-la-mort-de-nos-vies-sociales.
[5] Pierre Chaillan, Que révèle la crise du coronavirus ? L’Humanité, publié le 11 mars 2020, https://www.humanite.fr/que-revele-la-crise-du-coronavirus-686058
[6] Isabelle Rey-Lefebvre, Pascale Santi, Les familles de victimes du Covid-19 privées de funérailles ; Le Monde du dimanche 22 et lundi 23 mars, p. 9.